De Lourdes, nous connaissons les pèlerins pénitents et malades, les Ave Maria qui rythment la journée et les marchands du temple qui en font la deuxième ville touristique de France. Tout y est tension entre l’institution cléricale, le monde profane et l’économie marchande de la ville. Mais les fidèles venus des quatre coins du monde, eux, cherchent manifestement autre chose. Quelque chose d’immatériel et d’absolu à opposer à la souffrance et à la peur.
Aux origines de ce projet, il y a cette question que je me pose : par la photographie, comment regarder ce que je ne peux pas voir ? Et puis très vite, arpentant Lourdes et m’interrogeant sur la vision surnaturelle de la Vierge qui apparaît à Bernadette Soubirous : la disparition du réel est-elle la condition de son apparition ? Car si les mystiques nous parlent en terme d’union, d’extase, de joie, et d’un état de connaissance du monde qui serait tout intérieur, c’est parce que quand leur apparaît l’essence des choses, le réel que nous partageons disparaît intégralement. C’est le fondement d’une vision. Alors, n’étant pas mystique, ce que je ne verrai pas, comment le faire apparaître ?
C’est fort de ce questionnement – qu’est-ce qu’une vision surnaturelle, et comment la traduire photographiquement par une image qui nous invite à mettre en mouvement le regard – que j’ai ainsi élaboré un processus de prise de vue et de détournement de l’image s’inscrivant dans la filiation des expérimentations formelles menées dès les origines de la photographie par les photographes spirites puis par les pictorarialistes, et fondé sur le croisement de plusieurs interventions – analogiques, numériques et plasticiennes - que j’opère jusqu’à l’épuisement du médium. Procédant ainsi, je cherche à provoquer, à la jonction de l’aléa et de l’effacement, un mystère. A m’approcher suffisamment près de ce que seule la photographie pourrait saisir ici, à Lourdes : simultanément une apparition et une disparition du réel. Ou, du moins, si toute tentative photographique de révéler l’invisible est impossible : la vision hallucinatoire d’une humanité prise en étau entre sa fragilité et son espérance.